La Citadelle de Laon
Le site, son histoire et les souterrains.
Fiche descriptive (Rémi Bazin)
La Citadelle
La
Citadelle fut établie à l’emplacement de deux quartiers
très peuplé et
fort importants (dont le quartier Chevresson), entourés de remparts et
occupant une superficie de 4,5 ha à l’extrémité Est
du plateau.
La tradition veut que 200 ou 300 maisons aient disparu, avec les deux églises
paroissiales : Notre-Dame-au-marché et Saint-Georges.
Cette zone urbaine était importante puisqu’elle abritait également
la spacieuse halle de ville à double étage (lieu de réunion,
d’entrepôt, conservatoire des poids et mesures réglant les
échanges), une place où se tenait le marché, le collège
de Laon (fondé en 1555) ainsi que plusieurs hôtels de seigneurs
voisins : baron de la Bove, seigneur de Sissonne.
Une porte fortifiée, la porte Saint-Georges, permettait d’accéder
à ce quartier. Elle subsiste, murée et intégrée
au rempart de la Citadelle, côté sud.
Sis sur le rempart médiéval, le beffroi de la commune est le seul
vestige dont nous avons d’importantes traces. Il survécut 283 ans
au reste du quartier.
Edifié en 1177 ; devenu prison du prévôt en 1331 ; épargné
donc en 1595 ; transformé en capitainerie (logements d’officiers)
en 1850 et finalement détruit en 1878.
De plan carré, épaulé de 4 puissants contreforts dont un
renfermait l’escalier.
Le silo
Les silos repérés
sur le plateau, dont celui situé sous la Citadelle, semblent être
antérieurs à l’activité extractive puisque les carriers
préféraient s’arrêter ou contourner ces cavités.
Ces dernières « gâtaient » en effet la pierre exploitable.
Ils sont les témoins d’une activité de stockage de grains
pour la période gallo-romaine. Leur localisation pourrait d’ailleurs
correspondre à l’emplacement de l’ancien castrum.
Le principe consiste à creuser dans la roche une cavité en forme
de puits ou de bouteille destinée à stocker la récolte.
La remplir de grains et en boucher l’ouverture le plus hermétiquement
possible. Au contact de la roche légèrement humide, le grain germe
en périphérie sur quelques centimètres d’épaisseur.
En germant, il consomme l’oxygène du silo et lui substitue du gaz
carbonique. Privée d’oxygène, la germination s’arrête
et le grain peut se conserver une année ou plus. Pour resservir, le silo
est stérilisé au feu.
Laon vue par le nord lors du siège de la ville par Henri IV (22 juillet 1594) (gravure de G. Goerters, Bibliothèque royale de Bruxelles – ms 22089).
La Citadelle
Laon se donne en
1589 à la Ligue contre Henri de Navarre. Devenu roi, Henri IV rétablit
peu à peu sa souveraineté sur toute la Picardie et met le siège
devant Laon le 25 mai 1594. La garnison décide de capituler et se rend
le 22 juillet, après deux mois de siège. Laon ouvre ses portes
le 2 août et le roi fit son entrée dans la ville le lendemain par
la porte d’Ardon. Le roi impose ses conditions dont la plus douloureuse
fut la construction d’une Citadelle dirigée contre la ville. Elle
devait abriter la garnison royale (50 hommes d’armes accompagnaient le
gouverneur Marivaux en 1595 ; 61 hommes de pied entraient dans la Citadelle
en 1598 avec son successeur, le marquis de Coeuvres) affectée à
la surveillance de Laon.
Cet aménagement désorganise une partie importante du tissu urbain
à l’est. C’est le bouleversement le plus profond dans la
ville à l’époque moderne. La répercussion fut très
importante sur le reste du peuplement de la ville : crise du logement consécutive
à la destruction de deux quartiers et densification de l’habitat.
Stratégiquement,
une citadelle est une forteresse destinée à commander l’accès
d’une ville. Dans le cas de Laon, on peut douter de la pertinence d’un
tel dispositif.
Malheureusement, on dispose de très peu d’archives sur la construction
de la Citadelle.
Il semble qu’une citadelle, avec le logement du gouverneur ait déjà
été prévue dès 1592 à l’initiative
du maréchal ligueur de Rosne. Elle devait se trouver non loin de l’église
Saint-Etienne. C’est peut-être ce projet qui fut décidé
et mis en chantier en 1594. Mais l’abbé commendataire de Saint-Martin
fit rompre ce projet nuisible à son abbaye. Il en reste ce qui fut appelé
le retranchement Saint-Etienne, appelé aussi « la courtine »,
qui existe toujours.
La Citadelle est construite en 1595-98 à l’emplacement qu’on
lui connaît aujourd’hui par Antoine Estienne (ingénieur ou
maître voyer au bailliage de Vermandois) qui « traça son
plan et fit construire l’ouvrage du monde le plus informe et indigne de
porter le nom de forteresse et citadelle » (dom Varoqueaux). Plus tard,
visitant la Citadelle, Vauban aurait même dit qu’on aurait du pendre
l’ingénieur au créneau. Les travaux commencèrent
probablement à la fin de l’année 1595. Ils sont bien avancés
en mai 1598 puisque le gouverneur Marivaux meurt en la Citadelle le 17 mai.
Malgré la pression des habitants auprès du roi, l’ouvrage
est achevé et le nouveau gouverneur en prit possession le 8 juillet 1598.
Remarquons le cartouche scellé au-dessus de la porte principale avec
cette inscription latine : « Henri IV, roi très chrétien
et très victorieux de France et de Navarre, terreur des espagnols, après
avoir mis en fuite les ennemis et recouvré la ville de Laon, ordonna
la construction de cette citadelle en l’an 1595, Claude de l’Isle
de Marivaux étant gouverneur de la ville. » La porte de la Citadelle
est inscrite M.H. par arrêté du 2 mai 1927.
Malgré deux bastions tournés vers la ville, le reste des remparts
est celui qui fermait déjà la ville depuis le moyen âge.
Inscription située au-dessus de la porte :
HENRICUS QUARTUS CHRISTIANISSIMUS ET INVICTISSIMUS FRANCORUM
AC NAVARE REX HISPANORUM TERROR FUGATIS HOSTIBUS LAUDUNO RECEPTO HANC ARCEM
CONSTRUERE JUSSIT
ANNO MDXCV
CL. DE L’ISLE DE MARIVAUX
[… ]
(cartouche abîmé)
La Citadelle aux 17ème et 18ème siècles
Le logis du gouverneur
est édifié dans la Citadelle dans les dernières années
du 16ème siècle. Il s’agit du premier grand édifice
connu à Laon bâti en brique-et-pierre. Il est flanqué d’une
haute tour. Furent construits également des maisons pour le lieutenant
du roi, le major et des magasins.
Sur le rempart, côté sud, une échauguette porte la date
de 1621.
Nouvelle fortifications après 1635 (guerre de trente ans contre les espagnols
[1618-1648]) ; l’abreuvoir Saint-Georges est construit à proximité
de la porte du même nom.
Après 1700, les bruits de guerre s’éloignent. En 1701, l’ingénieur
du roi, Peironnet, constate le caractère obsolète des fortifications
et propose même la destruction de la Citadelle afin de rendre cette zone
au peuplement. Déjà en 1614, dans les cahiers des Etats Généraux,
on en demande la démolition. La Citadelle est en effet inutile et onéreuse
pour son entretien.
A la fin du règne de Louis XIV, la Citadelle est démilitarisée
et abandonnée aux militaires en retraite qui « ont le droit d’y
faire commerce des denrées de leur choix sans former de corporation.
»
En 1734, la plaine devant la Citadelle, aux fonctions militaires contestées,
est plantée d’arbres d’agrément.
A partir de 1744, des promenades furent réalisées dans les fossés
de Laon. L’intendant de Soissons, le duc de Tresmes, céda l’espace
entre la ville et la Citadelle qui devait être comblé « pour
l’embellissement et la commodité de la promenade de la ville »,
ce qui fut réalisé en 1759. Le château tombait en ruine
ainsi que les remparts.
La Citadelle au 19ème siècle
Sur ordre de Louis
Philippe, la Citadelle est reconstruite entre 1835 et 1847 et reste place de
guerre jusqu’au déclassement du site en 1851. La caserne voûtée
à l’épreuve des bombes est construite entre 1841 et 1845,
prévue pour abriter 959 hommes en temps de guerre, 801 en temps ordinaire.
Les trois autres côtés des fortifications sont construits de 1835
à 1844. Le côté nord est doté d’une impressionnante
série de casemates de tir. Pont-levis « à la Poncelet »
(1847). Construction d’une poudrière entre 1842 et 1847.
Laon vue par le nord lors du siège de la ville par Henri IV (22 juillet
1594) (gravure de G. Goerters, Bibliothèque royale de Bruxelles –
ms 22089).Nouvelle inscription au dessus de la porte principale : « AB
HENRICO MAGNO AEDIFICAT 1595 A LUDOVICO PHILIPPO I […] (cartouche abîmé)
RESTAURATA ET PERFECTA 1835 » « Construite par Henri le Grand en
l’année 1595, a été rétablie et parfaite par
Louis Philippe 1er en l’année 1835. »
L’affaire de l’explosion de 1870
En retraite depuis
un an, le Général Thérémin d’Hame avait pris
rési¬dence à Bruyères quand, le 18 août 1870,
il fut rappelé au service et nommé commandant de la Subdivision
Militaire de l'Aisne, poste qu'il avait occupé pendant deux ans avant
sa retraite, de 1867 à 1869. Le point stratégique essentiel dans
le département était la ville fortifiée de Laon avec sa
citadelle. Malheureusement, elle n'avait plus alors un seul homme de troupe
régulière pour la défendre, ni infanterie, ni génie,
ni artillerie. L’unique force dont elle pouvait disposer était
un bataillon de gardes mobiles et gardes nationaux à peine formés.
Quant à l'armement il consistait en 13 canons dont 10 étaient
en mauvais état, et sans spécialistes pour les servir. Il y avait
peu de munitions, peu d'approvisionnement et pas d'eau.
Avec la capitula¬tion de Sedan, le 2 Septembre 1870, l'ennemi s'approche.
Le Général Thérémin d'Hame s'enferme alors dans
la citadelle de Laon avec le seul bataillon de mobiles dont il dispose, décidé
à la résistance.
Le 7 Septembre vers 16 heures, un jeune officier de Uhlans agitant un drapeau
blanc se présente et demande au Général, au nom du Roi
de Prusse, la reddition de la citadelle sans conditions. Le Général
Thérémin d'Hame ajourne sa réponse au lendemain 16 heures.
Le matin même, il a reçu une dépêche du Ministère
de la Guerre lui enjoignant, au cas où Laon serait menacée par
des forces supérieures, de se retirer sur Soissons avec ce qui lui reste
des troupes. Mais le Général, très scrupuleux, ne croit
pas pouvoir évacuer la citadelle dont la garde lui a été
confiée sans informer ses supérieurs de la sommation qu'il a reçue
de l'ennemi. Il télégraphie donc à Paris pour le signaler
et précise qu'il attend les ordres. Deux heures plus tard, la réponse
arrive contredisant la dépêche du matin, illustrant bien la confusion
et le désordre qui règnent alors : « Je ne comprends pas
votre télégramme. Vous devez tenir jusqu'à votre dernier
biscuit, votre dernier boulet, votre dernier soldat.» Le Général
se résout à obéir, quoi qu'il puisse arriver.
Mais le Conseil Municipal de Laon, craignant pour la ville et ses habi¬tants
des suites fâcheuses que pourrait entraîner cette détermination
du Général, télégraphie à Paris et y envoie
trois délégués chargés de solli¬citer le retrait
des derniers ordres envoyés au Général.
Cependant le 8 septembre, à 15 heures, un second parlementaire allemand
se pré¬sente et est admis à la citadelle ; il s'agissait du
Colonel Von Alvensleben, chef d'Etat-major du corps d'armée commandé
par le Duc Guillaume de Mecklembourg, qui somme le Général de
rendre la cita¬delle dans un délai de 18 heures et de livrer les
vivres, les munitions et le matériel ; le Général, les
officiers et les hommes de troupe régulière seraient prisonniers
de guerre ; les gardes mobiles et nationaux seraient relâchés.
En cas de refus, la ville serait incendiée. Le Général
Thérémin d'Hame proteste énergiquement, arguant que la
ville est ouverte, que l'armée ennemie peut l'occuper sans même
s'exposer au feu de la citadelle. Le parlementaire réponde qu'il n'y
a pas à discuter.
Le 9 Septembre au petit matin, arrive la réponse du Gouvernement aux
dernières dépêches envoyées par le Conseil Municipal
: le Général est autorisé « à agir devant
les sommations suivant la nécessité de la capi-tulation ».
Il est donc décidé que ce même jour, le 9 Septembre à
10 heures du matin, la capitulation de la Place serait portée au Quartier
Général du Duc de Mecklembourg.
Vers 11h30, l'armée d'invasion entre dans la ville sous une pluie battan¬te.
Elle monte à la citadelle et en prend possession. Les mobiles com¬mencent
à défiler en déposant leurs armes ; le Général
Thérémin d'Hame a remis son épée au Duc de Mecklembourg
qui la lui a rendue ; tous deux, côte à côte, s'apprêtent
à signer la capitulation lorsque soudain une effroyable détonation
se fait entendre : la poudrière renfermant 26.000 kilos de poudre vient
de sauter...
Les victimes gisent par centaines ; par la suite, on comptera :
- côté Français : 11 officiers et 230 Mobiles tués,
10 officiers et 150 Mobiles blessés.
- côté Prussien : 30 morts dont deux officiers, 65 blessés.
Le duc de Mecklembourg est légèrement blessé à une
jambe mais le Général Thérémin d'Hame est grièvement
blessé à la tête. Malgré les tentatives de conciliation
du Colonel Von Alvensleben, le Duc de Mecklembourg tient les autorités
françaises et en particulier le Général Thérémin
d'Hame comme responsables. Le Général est transporté à
l'hôpital de Laon. Soumis à de nombreux interrogatoires et à
des sévices, il décède après quelques semaines de
souffrances, le 4 octobre.
Quant à l'auteur de l'explosion – auteur présumé
car le fait ne sera pas formellement prouvé – on pense qu'il s'agit
du garde d'artillerie Dieudonné Henriot ; étant garde de la poudrière
il détenait l'une des deux clés et s'était emparé
de la seconde déposée chez le commandant de la citadelle. Au moment
de la reddition on l'avait vainement recherché pour la remise de ces
clés. Revenu depuis quelques jours seulement des colonies, il paraissait
très exalté. Peut-être avait-il pensé accomplir un
acte d'héroïsme ?… En tout cas on ne retrouva aucune trace
de son corps. Le Général Thérémin d'Hame repose
dans le cimetière de Bruyères. 176 gardes mobiles français
et 33 prussiens sont enterrés dans le cimetière de l’hôtel-Dieu
puis dans le cimetière Saint-Just (un obélisque élevé
à leur mémoire en 1888 en zone 4 sur une petite plate-forme isolée
par une bordure de pierre).
La Citadelle de 1871 à aujourd’hui
Après que
les allemands aient commencé à démanteler la citadelle
en février 1871, l’ensemble des fortifications est rénové
entre 1874 et 1880 dans le cadre du système défensif « Séré
de Rivières ». La Citadelle constitue l’un des trois saillants
du plateau à son extrémité Est. En 1877, elle est équipée
de 37 canons, 2 mortiers et 6 pièces mobiles ; la garnison est composée
de 8 officiers, 12 sous-officiers et 396 hommes.
Une nouvelle poudrière est aménagée, pouvant contenir plus
de 100 tonnes de poudre et 400 000 cartouches en rajoutant un plancher amovible
disposée sur des corbeaux latéraux.
La contrescarpe (côté Ouest) est dotée de chambres de tir.
Le 45ème régiment d’infanterie, le glorieux régiment
de Laon, y cantonne de 1874 jusqu’en 1914.
En 1876, il est question
d’ériger de nouveau Laon en place de guerre, projet qui aboutit
le 29 décembre 1881 à un reclassement partiel.
Une décision du 17 juillet 1912 prononça le déclassement
des places de Reims, Laon et La Fère.
Durant la Grande
Guerre, occupée par les allemands, la citadelle sert de cantonnement
et d’hôpital. De nombreux prisonniers militaires et civils y séjournèrent.
Un cimetière allemand est aménagé sur la Plaine.
Une très violente explosion se produisit le 4 mai 1916 à 9h15
dans les casemates derrière l’infirmerie où les allemands
avaient emmagasiné poudre et obus. Il y eut 70 tués et blessés
allemands. Il y eut à l’extérieur de la Citadelle plusieurs
victimes parmi la population et d’importants dégâts. On ne
connut jamais la cause exacte de l’explosion. Les autorités allemandes
n’ont jamais révélé le résultat de l’enquête
qu’elles ont du faire.
Après la guerre, la Citadelle hébergea d’abord le 120ème RI qui dès fin 1919 céda la place au 45ème RI, de retour dans sa garnison après s’être illustré dans les Balkans. Il rejoignit bientôt le camp de Sissonne où il fut dissous au début de 1923. Il fut remplacé à la citadelle par le 101ème RAL qui peu avant 1930 déménagea au quartier Foch pour constituer les groupes lourds du 17ème RA de Sedan. La citadelle n’hébergea plus de régiment, devenue trop vétuste et étriquée. Elle abrita un centre mobilisateur et certains services de garnison jusque la Seconde Guerre mondiale. De 1940 à 1944, une partie fut occupée par des services administratifs français, une autre par les allemands qui y internèrent des prisonniers.
La citadelle est
vendue par l’Armée peu après la guerre et devient cité
administrative.
Vers 1950 : regroupement des fonctions administratives dans la Citadelle (construction
de l’aile en retour).